LE KAZAKHSTAN INTERDIT LES VÊTEMENTS QUI GÊNENT LA RECONNAISSANCE FACIALE : UNE LOI CONTROVERSÉE
C’est une mesure radicale que vient de prendre le gouvernement kazakh : depuis le 1er juillet, le port de tout vêtement susceptible de masquer le visage dans les lieux publics est officiellement interdit. Une loi adoptée au nom de la sécurité, mais qui soulève de nombreuses interrogations sur les libertés individuelles et la diversité religieuse dans cette ancienne république soviétique d’Asie centrale.
7/3/20253 min temps de lecture


Le président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev est en poste depuis 2019. « Plutôt que de porter des robes noires dissimulant le visage, il est préférable de porter des vêtements de style national », a-t-il déclaré plus tôt cette année. AFP/Christof Stache
Une loi aux contours larges
Le texte promulgué par le président Kassym-Jomart Tokaïev ne mentionne aucune religion ni type de vêtement en particulier. Il vise pourtant très clairement certains habits traditionnels couvrant le visage, notamment la burqa et le niqab, portés par une partie des femmes musulmanes.
Derrière une formulation neutre, le gouvernement entend interdire « tout vêtement ou accessoire gênant l’identification par reconnaissance faciale », que ce soit pour des raisons de sécurité ou d'ordre public. Des exceptions sont prévues : pour les raisons médicales, les conditions climatiques extrêmes ou certains événements sportifs et culturels.
Sécurité et identité nationale en ligne de mire
Cette interdiction s’inscrit dans une volonté affichée de modernisation technologique et de lutte contre l’insécurité. Le ministère de l’Intérieur justifie la mesure par le besoin de garantir l’efficacité des dispositifs de surveillance, notamment les caméras à reconnaissance faciale, dont le déploiement massif s’est accéléré ces dernières années dans les grandes villes du pays.
Mais au-delà de la sécurité, le président Tokaïev y voit aussi un moyen d’affirmer une identité nationale propre. Lors d’une déclaration télévisée, il a appelé les Kazakhs à privilégier les vêtements traditionnels « colorés et culturels », au détriment des « robes noires qui cachent le visage et ne reflètent pas nos valeurs ».
Une tendance régionale
Le Kazakhstan n’est pas seul à emprunter ce chemin. Plusieurs pays voisins d’Asie centrale ont déjà pris des mesures similaires. Le Tadjikistan a interdit en 2023 les vêtements religieux jugés « étrangers à la culture nationale », l’Ouzbékistan sanctionne la burqa depuis deux ans, et au Kirghizstan, des patrouilles spéciales ont été mises en place pour dissuader le port du niqab dans les espaces publics.
Ces politiques illustrent une tendance régionale : les gouvernements cherchent à contenir les influences religieuses perçues comme radicales, dans un contexte où l’équilibre entre islam et laïcité reste délicat, souvent teinté d’un nationalisme post-soviétique.
Des voix qui s’élèvent
Sur le plan intérieur, la loi divise. Le Kazakhstan est majoritairement musulman (environ 70 % de la population), mais largement sécularisé. Les organisations religieuses officielles, sous contrôle étroit de l’État, se sont peu exprimées. Toutefois, des voix critiques commencent à se faire entendre, notamment parmi les défenseurs des droits des femmes et des libertés religieuses.
« On pénalise des pratiques religieuses sous prétexte de technologie », s’alarme Aizhan Nurkhanova, juriste spécialisée en droits humains. « C’est une restriction grave du droit à la liberté de culte et à l’expression personnelle. »
Les répercussions pourraient être importantes pour certaines minorités religieuses, ainsi que pour les femmes qui choisissent librement de porter ces vêtements par conviction. Le texte de loi ne précise pas encore les sanctions en cas d’infraction, mais des amendes sont d’ores et déjà évoquées.
Surveillance de masse en question
La mesure soulève aussi un débat plus large : celui de la surveillance numérique. En facilitant le déploiement des systèmes de reconnaissance faciale, la loi ouvre la voie à un contrôle accru des citoyens dans l’espace public. Des ONG internationales pointent déjà un risque de dérive autoritaire.
« L’interdiction des vêtements qui masquent le visage n’est qu’un prétexte pour rendre la surveillance permanente plus efficace », estime un analyste de Human Rights Watch. « Cela pose des questions sérieuses sur le respect de la vie privée. »
Un tournant pour la société kazakhe
L’interdiction du voile intégral dans l’espace public marque une étape importante dans la politique intérieure du Kazakhstan. Après avoir restreint le port du hijab à l’école en 2023, le gouvernement franchit une nouvelle limite. Signe d’un autoritarisme en expansion ou d’un État moderne qui cherche à maîtriser son image et sa sécurité ? La réponse dépendra sans doute de la manière dont cette loi sera appliquée dans les mois à venir.
D’ici là, le débat est lancé. Entre aspirations à la modernité, contrôle social et respect de la diversité, le Kazakhstan devra affronter les tensions qu’une telle mesure ne manquera pas d’alimenter.