Baccalauréat et Brevet : quand la lisibilité d'une copie n’est plus un critère

Professeurs désabusés, exigences en recul, et avenir de l'évaluation scolaire en question. La lisibilité d’une copie, l’orthographe ou la clarté de la pensée ne seraient plus des critères essentiels dans la notation du bac ou du brevet. C’est ce que révèlent de récentes consignes de correction, provoquant une onde de choc chez de nombreux enseignants. Derrière ce bouleversement discret, une reconfiguration profonde de l’école est en marche.

7/4/20254 min temps de lecture

Des lycéens passant les épreuves du bac (illustration). Crédit : FREDERICK FLORIN / AFP

Une copie illisible, mais validée

« Ne pénalisez pas un élève pour une copie illisible. » Cette injonction, récemment transmise à plusieurs correcteurs du baccalauréat et du brevet, sonne comme un coup de tonnerre dans le monde enseignant. Selon une enquête du Figaro, relayée par des enseignants sur les réseaux sociaux, des consignes de correction invitent désormais les professeurs à ignorer la lisibilité, à ne pas sanctionner certaines fautes, voire à valider un propos oral même sans problématique formulée.

Pour de nombreux enseignants, c’est la goutte de trop. Si ces ajustements sont présentés comme des mesures d’inclusion et d’équité, beaucoup y voient un abandon pur et simple de l’exigence scolaire.

« C’est une violence pour les professeurs »

Le ressenti des enseignants est clair : ils ne comprennent plus les objectifs qui leur sont assignés. Une professeure de lettres de l’académie de Montpellier confie :

« On nous dit qu’un élève peut réussir son oral même sans problématique, tant qu’il parle librement. Mais alors, à quoi servent nos cours ? »

Elle poursuit, émue :

« On est en train de détruire le socle commun. L’orthographe, la clarté, la rigueur… Ce sont des outils d’émancipation. Pas des obstacles. »

Ce discours fait écho à une colère plus large qui traverse l'Éducation nationale, où de nombreux enseignants dénoncent une forme de démagogie pédagogique, déguisée en bienveillance.

Des consignes qui interrogent le sens même de l’évaluation

À l’origine de ces nouvelles directives : la volonté affichée de lutter contre les inégalités sociales. En effet, certains élèves issus de milieux moins favorisés seraient désavantagés par les exigences traditionnelles de l’école, notamment l’orthographe ou les codes de l’écrit académique.

Mais en supprimant certains critères, l’école ne risque-t-elle pas de priver les élèves des compétences essentielles pour réussir dans le monde professionnel et universitaire ? Pour beaucoup d’enseignants, le débat n’est pas seulement technique : il est philosophique et démocratique.

L’école en perte de repères ?

Ce recul de la lisibilité dans l’évaluation scolaire s’inscrit dans un mouvement plus large de transformation de l’Éducation nationale.
On valorise de plus en plus la compétence orale, la spontanéité, la réflexion personnelle, au détriment de la forme. Certains y voient un progrès pédagogique, d’autres un nivellement par le bas.

« On donne le bac à des élèves qui n’ont pas les bases. C’est grave. »
témoigne un professeur de lycée, correcteur du bac de français.

En 2024 déjà, une pétition de professeurs de lettres dénonçait la disparition progressive de l’enseignement rigoureux de la grammaire et de l’analyse littéraire.

Réactions en chaîne sur les réseaux et dans les salles des profs

Sur les réseaux sociaux, les témoignages d’enseignants se multiplient. Sur X (anciennement Twitter) et Reddit, des dizaines de correcteurs rapportent des consignes similaires :

  • Ne pas retirer de points pour une copie désorganisée.

  • Valoriser la production, même sans clarté ou structure.

  • Ne pas sanctionner les fautes si le sens global est là.

Ces retours, loin d’être anecdotiques, témoignent d’un virage profond dans la conception de l’évaluation scolaire. Un virage que beaucoup disent ne pas avoir vu venir.

Une crise silencieuse mais structurante

Derrière cette affaire de « lisibilité », c’est en réalité une crise d’identité du métier d’enseignant qui se joue. Les professeurs, déjà épuisés par les réformes, la gestion de la discipline, et les injonctions multiples, se sentent désavoués.

La question posée est frontale :

« Peut-on encore exiger quelque chose des élèves sans être accusé de discrimination ? »

Que veut-on évaluer : la forme ou le fond ?

Ce débat n’est pas nouveau. Il traverse depuis des décennies les sciences de l’éducation. Doit-on évaluer l’élève sur sa capacité à s’exprimer dans un français correct, ou sur ses idées, son intention, sa créativité ?

Les partisans de l’approche « inclusive » répondent :

« L’exigence de la langue peut être un frein à la réussite. »

Les partisans d’une école rigoureuse rétorquent :

« Ne pas exiger, c’est abandonner. L’orthographe est un outil d’émancipation, pas un privilège. »

Une école en quête de sens

L’école française se trouve à la croisée des chemins. Loin de l’idéalisme républicain du « mérite par l’effort », les nouvelles consignes laissent entrevoir une école plus souple, mais aussi plus floue dans ses objectifs.

En cette fin d’année scolaire 2025, nombreux sont les enseignants à se demander ce qu’ils transmettent vraiment.

Conclusion : entre bienveillance et renoncement

La suppression de la lisibilité comme critère de notation n’est pas un simple ajustement technique. C’est un choix de société.
Choisit-on de faciliter la réussite ou de maintenir des exigences communes ? D’adapter l’école aux élèves, ou de former les élèves à un cadre structurant ?

Une chose est sûre : derrière ces consignes invisibles aux parents et aux élèves, une réforme silencieuse est en cours. Et elle redessine les contours mêmes de ce que signifie réussir à l’école en France.